Vaison-la-Romaine, terrain de prédilection des pionniers
Vaison-la-Romaine, terrain de prédilection des pionniers
Pendant toute la première moitié du XXe siècle, un homme va, le premier, lever le voile sur cette longue histoire. Enseignant au séminaire d'Avignon, le chanoine Joseph Sautel est l'un de ces pionniers de l'archéologie à une époque où elle se pratique entre passionnés, hors de tout cadre institutionnel mais suivant une méthodologie déjà codifiée, notamment par les archéologues allemands. Auteur d'une thèse sur l'Antiquité à Vaison-la-Romaine, Sautel détient une solide connaissance du monde gallo-romain. Quant à l'argent, il va le trouver auprès d'un industriel alsacien, Maurice Burrus, féru d'histoire et amoureux de Vaison-la-Romaine, où Sautel avait déjà découvert les vestiges du théâtre antique et dont le pont romain affiche près de vingt siècles de service. Ce dernier va investir dans les travaux de l'ecclésiastique une grande partie de sa fortune. Les fouilles se concentrent à l'extérieur de l'agglomération récente, sur les sites de Puymin et de La Villasse. Ils y découvrent des quartiers entiers témoignant de l'opulence de celle qu'on appelait alors Vasio, premier territoire du département à faire allégeance à l'envahisseur romain et reconnue de droit latin par Jules César. Au sud de la ville, une rue bordée de boutiques menait au forum. Les habitants pouvaient y faire leurs achats à l'abri des intempéries et du soleil, le long d'une galerie dont les colonnes supportaient l'étage des bâtiments. On distingue encore au sol les grandes dalles calcaires de la chaussée où roulaient les chariots et, en bordure de la galerie couverte, les rainures où se fixaient les étals que l'on retirait le soir pour occulter les commerces avec un volet de bois. Cette rue emblématique longeait de luxueuses domus de plusieurs milliers de mètres carrés dont on peut encore admirer les vestiges des appartements, bassins, jardins et dépendances. Elles abritaient des familles importantes de l'aristocratie gallo-romaine, sur lesquelles l'envahisseur s'appuyait pour administrer la province, et ont pris les noms des " trésors " qu'on y a trouvés : la maison du Buste en Argent, celles du Dauphin ou de l'Apollon Lauré ou encore, près du théâtre antique, celle dite de la Tonnelle où une salle à manger d'été était aménagée dans le grand jardin. Travailleur acharné, le chanoine Sautel fera d'autres découvertes majeures.
À Orange, lors de la construction des coffres de la Société marseillaise de crédit, il met au jour un ensemble de plaques de marbre fragmentées mais miraculeusement réchappées du four à chaux auquel elles étaient destinées, sur lesquelles était gravé un plan cadastral de la moyenne vallée du Rhône, découpé en carrés réguliers de 710 mètres de côté (centuries) organisés suivant deux axes Nord-Sud et Est-Ouest (cardo et decumanus). Ce document fiscal servait notamment à organiser la collecte de l’impôt, supervisée par les gouverneurs nommés par Rome, et atteste du rôle administratif de premier rang de laïcité de droit romain d’Orange. Dans les années 1930 à Apt, Joseph Sautel sera là encore le premier à identifier les restes de la prestigieuse Apta Julia (Apt) à la suite de la destruction du marché couvert de la place Jean-Jaurès. Passe la Seconde Guerre mondiale et, après les horreurs, une nouvelle ère de prospérité s’ouvre. La reconstruction ,les Trente glorieuses, le progrès triomphant… On ne pense plus qu’à assainir les centres anciens insalubres, aménager, percer et faire place à l’automobile qui investit massivement les villes. Partout en France, des vestiges disparaissent à jamais sous les coups de boutoir de la modernité. C’est le cas à Avignon lors de la réhabilitation du quartier de la Balance mais surtout, avec le chantier du parking du Palais des papes dans les années soixante-dix dont les destructions émeuvent l’opinion. « Ils ont tout détruit sur 15 mètres de profondeur. Les niveaux antiques (grec et romain),gaulois et néolithiques, tout est parti à la décharge », s’indigne encore Patrick de Michèle, spécialiste de l’Antiquité au service d’archéologie du Département, créé pour parer à de nouveaux désastres tandis que s’impose, au niveau national, le principe de l’archéologie de sauvetage. Sa mission : mener des fouilles en amont des projets d’aménagement programmés dans les secteurs susceptibles de receler des vestiges et, ainsi, compléter la connaissance des temps reculés.
Visuel haut de page : © Marie-Françoise Dumont-Heusers