Du « jardin des délices » de Malaucène au palais de Sorgues, souvent pape varie

Pour bien comprendre cette histoire, il faut survoler ce siècle tourmenté des papes d’Avignon. Une période au cours de laquelle l’Église voit son autorité contestée par les souverains européens et marche vers le Grand schisme, sur lequel se refermera cette parenthèse. En prélude, une longue errance de plusieurs années. Quand Clément V, alors archevêque de Bordeaux, est élu en 1305 à Pérouse (Italie), l’Église traverse une grave crise politique et le nouveau souverain pontife décide de ne pas se rendre à Rome. Déchirée par les conflits, la ville a perdu de son éclat et de son influence, elle est devenue un nid d’intrigues dont il craint d’être prisonnier. Et puis, Rome ne se trouve plus désormais au cœur du monde chrétien mais dans sa périphérie. Clément V choisit de se faire couronner à Lyon et passe les années suivantes à exercer son ministère en itinérant. Entre ses séjours en Guyenne (l’actuelle Aquitaine, alors anglaise) et dans le Poitou, français, il s’efforce de restaurer les liens entre le Saint-Siège et le roi de France, Philippe Le Bel, passablement dégradés par le bras de fer sans merci avec son implacable prédécesseur, Boniface VIII. Comme gage de sa volonté d’apaisement, Clément V ferme les yeux sur la liquidation du puissant Ordre du Temple par le roi de France. Trop riches, trop organisés, ces moines-soldats qui ne combattent plus guère sont aussi ses créanciers. Tous sont arrêtés en 1307. Le concile convoqué pour régler leur sort en 1311 se tient à Vienne, au sud de Lyon, sur les terres du Saint Empire romain germanique. Devant la détermination de Philippe Le Bel, le docile Clément V renonce à réformer l’Ordre du Temple et bat en retraite. Il fait étape dans le tout proche Comtat Venaissin, terre pontificale depuis qu’il a été cédé au Saint-Siège par le comte de Toulouse en 1274. Ici, le pape peut espérer échapper un peu à la pression du roi de France sans toutefois s’en éloigner. L’emplacement géographique est idéal : assise sur un pont au milieu de la vallée du Rhône qui sépare alors la France et l’Empire, Avignon connecte le nord et le sud de l’Europe, au cœur de la chrétienté. 

Du « jardin des délices » de Malaucène au palais de Sorgues, souvent pape varie

Clément V installe sa curie dans le couvent des Dominicains hors les murs d’Avignon mais, voyageur dans l’âme, déserte le plus souvent cette résidence sans charme pour sillonner le Comtat. Il séjourne notamment à Monteux, Bédarrides et Châteauneuf. De passage à Malaucène, il tombe en extase devant le monastère du Groseau. Non loin de la source à laquelle déjà les Gaulois vouaient un culte, l’homme se sent revivre et, très vite, décide de transformer le vieil édifice roman en un véritable petit palais. Jusqu’à sa mort en 1314, il viendra résider chaque année dans cette retraite chérie qu’il appelle «  le jardin de mes délices  ». Mais une résidence d’été n’est pas un lieu de pouvoir. Élu sur un coup de bluff après un interminable conclave, son successeur, Jean XXII, entend affirmer le sien en lui donnant un édifice à sa mesure. De même que le départ de Rome et l’installation des papes dans le Comtat au début du XIVe siècle n’est pas un événement programmé, il n’existe guère de continuité dans les choix que feront les souverains pontifes successifs. Jean XXII, le bâtisseur, régnera 20 ans. Il délaisse Malaucène et s’attache à verrouiller les points d’accès à Avignon. Il fait fortifier Barbentane, Noves, Châteauneuf ou encore Bédarrides et engage les premiers travaux sur le vieux palais épiscopal au pied de Notre-Dame des Doms. Mais il faut du neuf, du grandiose pour éblouir ses hôtes, étaler la puissance du pape. Rapidement, il engage la construction d’un vaste palais à Sorgues, juste au débouché du pont qui enjambe l’Ouvèze et contrôle l’accès à Avignon