Le ghetto des carrières

Le ghetto des carrières

Ainsi, à Cavaillon, la carrière située dans l’actuelle «  rue hébraïque  », une petite impasse, dénombrait une centaine de personnes au XVIIIe siècle, regroupées sur une superficie de 1 500 m2. Un cadran solaire datant de 1775 y surplombe encore la maison «  du rabbin de Bédarrides  ». Plus importante, celle de L’Isle-sur-laSorgue au sud-ouest de la ville, couvrait une superficie de 5850 m2 en 1791, d’où sa densité moins élevée que dans la plupart des carrières du Comtat. Ici, la communauté juive a échappé aux massacres ayant ensanglanté le XVe siècle. Le discret passage Jacob, que l’on distingue encore aujourd’hui, témoigne de l’imbrication des habitations, propre aux carrières du Comtat, et de leur adaptation aux contraintes (faible superficie au sol), comme l’illustre bien la maison d’Aaron et Isaac de Beaucaire. Autre exemple significatif, car plus haute des carrières du Comtat en raison de ses immeubles pouvant atteindre huit à neuf étages, la carrière de Carpentras, située à l’emplacement de l’actuelle place Maurice Charretier, proche de l’hôtel de ville, occupait une superficie de 4 500 m2 pour un millier de personnes, soit 10% de la population de la ville au XVIIIe siècle. Elle a été démolie dans le courant du XIXe siècle. Quant à la juiverie d’Avignon, centrée sur l’actuelle place Jérusalem et fermée par deux portes (place Carnot et rue Carnot) au XIVe, elle a pu accueillir jusqu’à un millier de personnes sur 3 500 m2.

 

 
Synagogues, bains rituels et cimetières

Lieu de culte, la synagogue est aussi celui des études et des réunions. Elle abrite les rouleaux de la Torah – les cinq premiers livres de la Bible retranscrits sur des rouleaux – et souvent d’autres pièces, dont notamment un bain rituel. À Cavaillon, l’actuelle synagogue devenue musée en 1963 est située sur l’emplacement de celle du XVe siècle. Reconstruite au XVIIIe siècle, elle se caractérise par son décor ostentatoire, dont une porte d’entrée richement ornée et surmontée d’un médaillon portant une citation du livre des Psaumes, en hébreu. Ses combles ont livré des objets liturgiques, dont certains, datant du XIVe siècle, sont venus enrichir les collections du musée juif comtadin. Restaurée dans les années 1990 avec le soutien du Département, la synagogue de Carpentras n’a pas changé d’emplacement depuis 1367. Elle est de ce fait non seulement la plus ancienne de France dédiée au culte mais aussi l’une des plus vieilles d’Europe. Située en plein cœur de la carrière, dont elle est l’élément majeur, véritable témoin de la vie collective, elle est conçue en deux volumes superposés, reliés par un escalier extérieur.

 

 

Un patrimoine exceptionnel

Les actuelles synagogues de Carpentras et de Cavaillon ont été inscrites dès 1924 au titre des Monuments historiques. La synagogue actuelle d’Avignon a été reconstruite de 1846 à 1848 à la suite d’un incendie. Autre équipement pilier du judaïsme, car destiné à la purification physique et spirituelle, le bain rituel ou «  mikvé  » porte, à Avignon et dans le Comtat, le nom de cabussadou («  tête  » en provençal). Généralement situé sous la synagogue pour être en contact avec la nappe phréatique, il peut être plus rarement d’ordre privé, à l’image des deux seuls bains de ce type découverts à Pernes-les-Fontaines, dont le second en 2016, à l’occasion de fouilles archéologiques effectuées Place de la juiverie. À Cavaillon, un bain rituel de sept mètres de profondeur est par ailleurs conservé dans la cour de la Maison Jouve, appartenant à la Fondation Calvet.

Une décision papale ayant privé les juifs de pierre tombale, les cimetières juifs du Comtat ont laissé peu de traces. Du cimetière juif de Cavaillon, dont la présence est attestée en 1217 dans le quartier de la Porte du Clos, ne subsistent que quelque stèles, abritées au musée juif comtadin, et une plaque commémorative au bas de la colline Saint-Jacques. Disposé sur une parcelle d’environ 3,3 ha, le cimetière juif de Carpentras compte 850 sépultures postérieures à la Révolution. Les tombes plus anciennes ne sont pas signalées en raison des décrets pontificaux. Les sépultures, individuelles, sont souvent regroupées dans des enclos familiaux. À L’Isle-surla-Sorgue, où la majorité du patrimoine juif a été détruit au XIXe siècle après l’abandon de la carrière par la communauté juive, le dernier élément concret de sa présence est le cimetière israélite situé sur la route de Caumont. Ici, comme dans les quatre anciennes juiveries du Comtat, la toponymie de la ville témoigne encore de cette ancienne occupation, comme l’atteste sa «  place de la Juiverie  » ou sa rue Louis Lopez, encore fréquemment appelée «  ancienne rue Hébraïque  » par les habitants de la ville.

À Cavaillon, Carpentras, L’Isle-sur-la-Sorgue ou Avignon, les communautés juives qui ont pu survivre, malgré la ségrégation dont elles étaient victimes, ont laissé leur empreinte, léguant un patrimoine exceptionnel aux générations futures. Un patrimoine rare, qui renseigne et émeut non seulement sur le destin de ces communautés mais aussi sur leur vie quotidienne à partir du Moyen Âge.

 

Visuel haut de page : © Corine Bribois / Ville de Cavaillon